Dang Dinh Bach : un splendide exemple de solidarité communautaire et une triste histoire d'injustice qui attend d'être réparée au Viêt Nam

Dang Dinh Bach : un splendide exemple de solidarité communautaire et une triste histoire d’injustice qui attend d’être réparée au Viêt Nam

Dang Dinh Bach est l’ancien directeur du Law and Policy of Sustainable Development Research Center (LPSD), un institut qu’il a cofondé en 2007 pour contribuer activement au développement durable au Viêt Nam. Basé à Hanoï, le LPSD travaillait en étroite collaboration avec le gouvernement, effectuant des recherches et des analyses sur des questions juridiques et politiques. En 2011, M. Bach, qui avait acquis une expérience pertinente dans le cadre du Réseau juridique du Mékong, est devenu directeur du LPSD et a entrepris d’en faire la première organisation juridique d’intérêt public au Viêt Nam. En tant que telle, la LPSD a aidé de nombreuses communautés vulnérables à comprendre et à faire valoir leurs droits dans le contexte des dommages environnementaux causés par les projets industriels et de développement.   Pour ce faire, il a fallu tirer parti des lois, des politiques et des procédures relativement solides du pays en matière d’environnement. Bach et LPSD ont mis l’accent sur l’engagement direct des communautés dans leur travail.

La remise en question des modèles conventionnels de développement économique et de leur faible prise en compte des impacts sur les communautés locales et l’environnement a rendu le travail de LPSD à la fois nécessaire et très exigeant. Dans de nombreux pays, les communautés confrontées à des impacts sur leur santé, leurs moyens de subsistance, leur logement et leur environnement local n’ont qu’un pouvoir limité pour influencer les plans gouvernementaux et assurer la responsabilité des entreprises. Les approches juridiques d’intérêt public sont l’une des rares voies qu’elles peuvent emprunter.  M. Bach a fait tout ce qu’il pouvait pour aider, en travaillant avec les lois existantes et en s’engageant de manière constructive avec toutes les parties prenantes pour obtenir au moins une certaine reconnaissance politique des droits des communautés.

Cependant, il est un fait que le manque de connaissance juridique, la corruption et l’espace d’action limité de la société civile se combinent souvent pour empêcher la mise en œuvre de la législation sur la protection de l’environnement. C’est pourquoi le travail de M. Bach a nécessité une approche longue et patiente. Les affaires complexes liées à l’environnement et à la terre impliquent souvent de se confronter à de puissants intérêts économiques et politiques, et M. Bach a entrepris de sensibiliser et de renforcer les capacités des communautés et de ses collègues juristes, tout en s’engageant de manière constructive avec de nombreuses autres personnes concernées. La LPSD a aidé les communautés à négocier avec les entreprises, les gouvernements et les tribunaux. Elle a promu des outils juridiques d’intérêt public, en établissant des relations avec différents niveaux de gouvernement (en particulier avec les jeunes fonctionnaires de niveau intermédiaire). Elle a également mis en place un réseau d’avocats d’intérêt public spécialisé dans les affaires de pollution. Lentement mais sûrement, les communautés ont commencé à se faire entendre et à comprendre les moyens de faire valoir leurs droits.

Entre autres initiatives, la LPSD a contribué à réunir et à soutenir un groupe d’action des victimes de la pollution, en fournissant des conseils juridiques et scientifiques et en renforçant les communautés. Elle a contribué à la mise en place d’un réseau environnemental vietnamien (VEN), en fournissant aux avocats des modèles de litiges pertinents. Enfin, elle a aidé les organisations locales et internationales à comprendre comment utiliser au mieux les approches juridiques de protection de l’environnement prévues par la législation vietnamienne. La LPSD s’étant profondément engagée à travailler avec les communautés, elle a agi discrètement et de manière transparente, mais sans compromis, en demandant aux autorités de mettre en œuvre les lois et les politiques environnementales du Viêt Nam, voire de les améliorer.

La LPSD a traité avec les communautés dans un langage simple et a passé beaucoup de temps avec elles, ce qui a permis de renforcer leur confiance, leur solidarité interne, leur sensibilisation et leurs compétences en matière de plaidoyer et de communication. Les communautés ont ainsi pu soumettre des pétitions et entrer en contact avec leurs autorités locales, en essayant de les convaincre d’impliquer les communautés elles-mêmes et la LPSD dans leurs enquêtes sur la pollution. Ainsi, grâce au travail patient de la LPSD, certaines autorités locales ont commencé à comprendre les problèmes et les préoccupations urgentes de leurs communautés. Des réunions intercommunautaires ont également été organisées afin d’échanger des idées, des stratégies et des compétences en matière de résolution de problèmes. Malgré son manque chronique de financement pour couvrir le travail exigeant et complexe demandé par les communautés, la LPSD a également recruté des étudiants en droit et a aidé nombre d’entre eux à acquérir une perspective et une expérience de l’intérêt public.

Parmi les exemples d’affaires d’intérêt public à long terme prises en charge par Bach et LPSD, on peut citer la défense des communautés dans l’affaire Nicotex, où des tonnes de pesticides périmés ont été enterrés illégalement, ce qui a eu un impact sur la santé locale, ainsi que dans d’autres affaires où les niveaux élevés de cancer dans la communauté pourraient être liés à la pollution de l’usine. Le rôle de premier plan joué par M. Bach au sein du réseau juridique d’intérêt public du Mékong de EarthRights International a notamment consisté à élaborer un mécanisme de règlement des griefs et un outil d’évaluation de l’impact de l’utilisation des terres pour les communautés en cas de litiges fonciers. Cet outil a également été essentiel lorsque le LPSD a formé de nombreux organisateurs pour soutenir leurs communautés qui avaient perdu leurs terres et leurs moyens de subsistance en raison des déplacements effectués pour la construction du barrage de Son La. En tant que membre de la coalition régionale Save the Mekong, Bach et LPSD ont contribué à sensibiliser à l’impact en aval des barrages du Mékong sur les communautés, les systèmes alimentaires et l’environnement du delta du Mékong au Viêt Nam. Dans le domaine du changement climatique, ils ont joué un rôle de premier plan au sein de l’Alliance vietnamienne pour l’énergie durable, notamment lors de ses dix-sept jours d’action, en 2021, au cours desquels l’alliance a remis en question la forte dépendance du Viêt Nam à l’égard du charbon. Enfin, M. Bach était membre du conseil exécutif du réseau VNGO-EVFTA, un groupe d’organisations de développement et de protection de l’environnement chargé de veiller à ce que le gouvernement respecte les conditions de travail et de développement durable dans le cadre de l’accord commercial conclu avec l’Union européenne (UE).

Tout cela était-il trop pour certaines autorités vietnamiennes ? En juin 2021, M. Bach a été arrêté pour évasion fiscale et le LPSD a été contraint de fermer ses portes. Bach n’est pas le seul : au cours des deux dernières années, quatre autres défenseurs de l’environnement et du climat ont été arrêtés et emprisonnés pour des motifs similaires. Les experts en droits de l’homme ont exprimé leur inquiétude quant à l’existence au Viêt Nam de lois fiscales vagues et appliquées de manière arbitraire. Ces lois peuvent être facilement utilisées pour réduire au silence les défenseurs de l’environnement et ceux qui critiquent la politique du gouvernement et sa mise en œuvre. À l’issue d’une procédure judiciaire biaisée, au cours de laquelle il n’a pu bénéficier d’une procédure régulière et d’un procès équitable, M. Bach a été condamné à une peine de cinq ans d’emprisonnement, bien plus sévère que la peine habituelle pour les personnes poursuivies pour des délits fiscaux.  Au moment où nous écrivons ces lignes, en 2023, M. Bach est en prison. Le Groupe de travail des Nations Unies sur la détention arbitraire a estimé que sa détention était arbitraire et violait le droit international. Les rapporteurs spéciaux sur la liberté d’expression et d’association ont également noté que les lois fiscales utilisées pour emprisonner M. Bach et d’autres personnes sont incompatibles avec les droits d’expression politique, de parole et d’association. Depuis l’arrestation de M. Bach, les Nations unies ont publié plusieurs conclusions sur la persécution systématique des défenseurs de l’environnement au Viêt Nam.  Le fait que Bach ait été apparemment pris pour cible montre à beaucoup l’importance et l’impact du travail que lui et la LPSD réalisaient. Son maintien en détention est extrêmement préoccupant et il est d’autant plus important que les autorités vietnamiennes réexaminent l’affaire et reconnaissent les préoccupations légitimes que son cas et d’autres cas similaires ont suscitées tant au niveau national qu’international.

Veiller à ce que les lois existantes soient mises en œuvre de manière légitime et impartiale dans l’intérêt de l’environnement et des communautés vulnérables est une nécessité absolue, au Viêt Nam comme dans tous les autres pays. Les réseaux soutenus par la LPSD à l’intérieur et à l’extérieur du Viêt Nam poursuivent leur travail, bien que dans un environnement très limité et contraint. M. Bach fait de son mieux pour ne pas désespérer et continue, jusqu’à présent sans succès, à clamer son innocence. Au cours de l’été 2023, il a entamé une longue grève de la faim pour attirer l’attention sur l’iniquité des accusations portées contre lui. Dans un message à sa famille, il envoie son amour à toutes les espèces et à tous les peuples « au-delà de toutes les différences d’espace, de temps, de pays, d’ethnie et de religion » et espère que l’humanité se réveillera « pour préserver notre mère la Terre et protéger la liberté et la vie ».  C’est une chose pour laquelle il pourrait « donner volontiers sa vie ».

Le prix Paul K. Feyerabend 2023 est offert à Bach pour souligner son travail en tant qu’exemple de solidarité communautaire et dans l’espoir que les autorités vietnamiennes éclairées reconnaîtront que des personnes comme Bach et des organisations comme la LPSD sont un atout considérable pour tout pays. Seules ces personnes et ces organisations peuvent contribuer à développer les freins et contrepoids et la sensibilisation du public nécessaires à la prospérité d’un pays.  Il n’est jamais trop tard pour reconnaître et soutenir leur travail difficile et inconfortable, mais crucial.  En raison de ses circonstances uniques, ce prix n’est pas assorti d’une enveloppe financière. Mais le sentiment d’admiration et de solidarité à l’égard de Bach et de la LPSD n’en est que multiplié. La Fondation Feyerabend garde l’espoir qu’un examen positif de son cas permettra à Bach de retrouver sa famille et son travail, si important pour l’avenir du Viêt Nam

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